mardi 13 mars 2018

LE ROCK DANS SON JUS DE POMME


Je ne sais pas vous, mais moi j'ai toujours trouvé qu'il flottait à Zagreb un fond d'air électrique, une atmosphère rock'n'roll. Une impression qui m'a saisi dès ma première visite dans cette ville. Zagreb n'est ni Manchester, ni New York et encore moins Londres, et pourtant, aux seuils des façades jugendstil vieillissantes, à l'ombre des usines aujourd'hui désaffectées, où autrefois grouillait le peuple élu du socialisme, ou encore au pied des tours brutalistes fatiguées des quartiers dortoirs, on se les imagine aisément, les rockers locaux, posant crânement, comme leur modèles britanniques ou américains, dans ce décor où se mêlent, sans toujours une grande cohésion, les époques et les styles, la marque de l'histoire et celle du quotidien. Dans ces confins où se frottent l'Est réputé arriéré et l'Occident supposé moderne, le rocker local assume depuis toujours l'apparente schizophrénie que constitue sa passion musicale d'importation, qu'il affiche comme un trophée existentiel, et son destin de mauvaise graine ayant poussé du mauvais côté de l'Europe. Cette schizophrénie finit par faire fusion et façonne un esprit rock spécifique, où le tempérament frondeur local se marie à merveille avec le "vivre vite" que véhicule cette musique. Certes, Zagreb ne fut pas le seul pôle rock dans l'ancienne Yougoslavie, mais cette subculture s'y est néanmoins épanouie avec succès, et a su y garder une certaine forme d'authenticité et d'intégrité. Plusieurs facteurs ont contribué à cette situation. Un lieu, en particulier, a joué, modestement mais sûrement, un rôle indéniable de "prescripteur" et de catalyseur. 
Ce lieu c'est le club Jabuka ("La Pomme", prononcer "Yabouka"). Il vient de fêter ses 50 ans d'existence, et un lien personnel nous lie, lui et moi: un peu de ce blog a été inspiré par mes nuits passées à la Jabuka, au mitan des années 90. Tout cela vaut bien un post, et Yougosonic revient sur l'histoire de la Jabuka, qui rejoint, celle, plus globale, de la Croatie.

C'est en février 1968 que des membres de la "Ligue de la Jeunesse pour la Paix" investissent cet ancien bowling du paisible quartier de Jabukovac ("la pommeraie", prononcer "yaboukovatz"), sur les hauteurs de Zagreb. Un bowling où, pour la petite, ou plutôt la grande histoire, jouèrent successivement Ante Paveli
ć puis le Maréchal Tito, ainsi que les généraux du "Mouvement de Libération Nationale". C'est donc plus ou moins un ancien mess militaire qui devient, dans cette période de bouillonnement sociétal qu'est la fin des années 60, le lieu de promotion de la paix et de la non violence, sous la houlette d'une organisation de jeunesse para-socialiste.